Life begins at the end of your comfort zone – Neale Donald Walsch

Je glisse dans la poche arrière de mon jean le sécateur avec lequel j’ai élagué les rosiers. Il faudrait tondre la pelouse, mais elle est mouillée, et ce serait bruyant. Or j’ai besoin de silence, ma tête est suffisamment pleine. Simon le fera. J’enlève mes gants et passe le dos de mon poignet sur mon front pour relever mes cheveux, et j’en profite pour remonter mes lunettes. Je lève les yeux, le ciel est gris. Je pose mes gants et j’attrape le saladier que j’avais posé sur le rebord de la baie vitrée.

Je m’accroupis et commence à cueillir les fraises. Il y en a vraiment beaucoup. J’avance lentement, faisant attention de ne pas les écraser quand je déplace les pieds. Godzilla vient s’installer à côté de moi, comme le chien qu’elle n’est pas. Je lui grattouille la tête.

Je pense que c’est bizarre de partir maintenant que tout pousse enfin dans ce jardin. Cinq années d’effort. La rhubarbe a pris lentement. Les guêpes maçonnes butinent le mûrier et font leurs nids sous le toit. Les pommiers donneront probablement plus de pommes que les 5 de l’an dernier. Il y a suffisamment de menthe pour faire des mojitos jusqu’à rouler sous la table. Les fleurs des champs attirent chaque année plus d’insectes, chassés des autres jardins un peu trop entretenus à mes yeux.

Mes bras au contacts des fraisiers commencent à gratter. D’ici quelques minutes, les plaques urticariennes apparaîtront. Comme d’habitude.

Avoir choisi de partir. Quelle idée. Alors que tout roulait enfin… Enfin… Non…Ce n’est pas vrai. Avoir peur de la suite ne doit pas créer de faux souvenirs. Plutôt alors que tout avait atteint un niveau stable. Inconfortable, désagréable, rongeant même, mais stable. Avoir tout remis en question. Une décision prise en vingt-quatre heures. Es-tu sûre, n’as tu pas besoin de plus de temps pour accepter m’avait-t-il demandé, non la décision était prise, prise en quatre ans en fait. C’est peut-être plus angoissant car toutes les portes ne sont pas encore fermées ici. Et ce sera quand même différent. Ce qui est différent fait peur, forcément. Repartir de zéro, encore. Faire ses preuves à nouveau. Gagner la confiance.

Godzi pose sa patte sur ma cuisse et miaule. Je la regarde et je lui demande si elle veut partir avec moi. Me voir faire des cartons la perturbe ces jours-ci mais probablement croit-elle que je prépare des valises et que nous allons la laisser pour partir en vacances, une nouvelle fois. Égoïstement, j’aimerais l’emmener avec moi et laisser Gudule à Simon. Pour être deux de chaque côté de la frontière. Pas sûr qu’elle supporte ça. Elle ne répond pas. Elle se roule dans la terre.

Il faudra vivre à distance quelques mois. Profiter de la liberté de la solitude des soirées, mais n’avoir aucune épaule sur laquelle se poser. Puis comme aux débuts, se ré-apprivoiser chaque week-end.

Les questions tournent. J’entends mon père soupirer que je pars encore plus loin. J’étais déjà si loin, papa, tu sais. Au lieu de la voiture ou du train, ce sera l’avion. Ce ne sera pas plus simple. Mais je ne pouvais pas continuer comme ça.

Le saladier est plein. Mes avant-bras sont couverts de plaques. Je range le sécateur et les gants dans la cabane. Je porte les fraises à la cuisine. Godzilla me suit, tentant d’obtenir un rab de pâtée.

Il faut encore débrancher l’ordinateur et le ranger dans une caisse, quand ce serait si simple d’avoir un portable. Mon regard se pose sur Jonathan Livingston le goéland, posé sur le bureau. Et me reviennent ces phrases : “Brisez vos limites, faites sauter les barrières de vos contraintes, mobilisez votre volonté, exigez la liberté comme un droit, soyez ce que vous voulez être. Découvrez ce que vous aimeriez faire et faites tout votre possible pour y parvenir”.

Briser les limites, être libre, tout faire pour y parvenir. Tout.


3 réflexions sur “Life begins at the end of your comfort zone – Neale Donald Walsch

  1. Suffocante depuis des mois, je googlelise « medecin expat suisse ». J’atteris sur divers points de vue de personnes, qui ne sont pas moi, certes, mais mon cerveau moyennise le tout. Et puis je croise des vaches mauves , un nom qui m’évoque de bons thrillers, et une île qui me fait rêver: mon cerveau part en arborescence , posons nous. je vais reprendre depuis le début, la chronologie parfois c’est mieux.

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