On me contacte souvent pour savoir comment je suis arrivée ici, en Suisse. Moi, on m’a contactée, une histoire d’amis communs sur Twitter. Je souffrais beaucoup dans mon ancien cabinet, tout le monde le savait, il n’y a que moi qui ne le voyais pas. Et quand un doc en a cherché un autre pour s’installer ici, quelqu’un a glissé « vazy contacte Aby, elle va dire oui ». Ça a pris un peu plus de temps que ça mais ça n’a pas été très compliqué. Je vais te raconter.
En pratique, venir bosser en Suisse, comment ça se passe ? Si tu as eu un autre parcours, ou d’autres difficultés, d’autant plus que ce n’est pas pareil dans tous les cantons et que les choses ont encore changé depuis que je suis arrivée, si j’ai oublié des points, raconte-le dans les commentaires.
1. Professionnellement :
Sache qu’il y a des chasseurs de tête qui mettent des annonces dans des journaux médicaux en France. Peut-être que s’ils font les démarches à ta place après, c’est plus simple et tu peux directement aller au chapitre 2 ci-dessous. Mais si tu fais tout seul, tu peux continuer de lire.
D’abord il faut faire reconnaitre ton diplôme par la Mebeko. C’est assez facile puisqu’il y a des équivalences inter-pays. Il faut parler une langue du pays couramment (italien, allemand ou français) et cette reconnaissance ne te permettra de travailler que dans un canton dont tu parles la langue.
Après ça se corse : il faut demander une autorisation d’exercice dans le canton de ton choix à la Direction de la Santé et des affaires sociales. Selon le canton, c’est plus ou moins simple. Certains cantons sont plus peuplés que d’autres, niveau médecin. Je trouve que pas mal de médecins, même suisses, s’installent ces derniers temps, ça donne des arguments aux instances pour refuser les étrangers. Si je dis même suisses, c’est parce que le système, bien qu’il n’aime pas les étrangers, a besoin de médecins étrangers. Les médecins suisses ne veulent pas être généralistes parce que « c’est trop dur » et continuent donc leur cursus pour être spécialistes.
La fourberie de l’histoire, c’est qu’on a reconnu ton diplôme mais en fait pas complètement. Tu dois maintenant demander ta nomination comme « médecin praticien » alors que les médecins suisses eux sont « FMH ». Pourquoi ? Et bien même si l’État, pour des accords internationaux, accepte de reconnaitre ton diplôme, la Société de Médecine considère que tu devrais encore bosser à l’hôpital pour avoir une année et demie supplémentaire et devenir enfin un vrai bon médecin (moi je suis déjà installée donc c’est un peu compliqué d’aller bosser à l’hôpital en laissant mes patients). Pour le moment, tu as un diplôme, mais à leurs yeux, tu es mauvais. En fait, les formations ne sont pas comparables. Ils ne comparent qu’une durée. De ce que j’en vois, le programme en France est beaucoup plus dense, et nous commençons les stages beaucoup plus tôt. Au final, nous sommes formés pareil, et il y a des mauvais partout.
Qu’est ce que ça change ? En tant que médecin praticien, ton point de facturation est moins haut, donc tu gagnes moins. Tu as le droit de bosser, tu fais le même taf, tu soignes des gens mais comme tu es mauvais, tu es payé moins. Il est possible que ça change encore prochainement. Par la suite, chaque année, tu dois avoir des points de formation : ces formations sont gracieusement sponsorisées par des laboratoires, tu es obligé d’y aller, on t’y bourre le mou de médicaments merveilleux. Ça, par contre, ça fait de toi un bon médecin, mais ça ne te donnera pas le titre FMH. On m’a dit trois fois cette semaine que j’étais un très bon médecin, mais l’avis de mes patients, la société de médecine s’en tamponne, elle me trouve très nulle. Un autre exemple : sans l’étiquette FMH, impossible pour moi de m’inscrire à une formation sur 3 ans que je souhaitais faire. Enfin si, je pourrais la faire, mais de toute façon à la fin, je n’aurais pas le diplôme. Donc nous sommes mauvais, mais nous ne pouvons pas devenir meilleurs. C’est Ubu.
On peut aussi ne même pas t’accorder le titre de praticien. C’est en train d’arriver à certains. Ces temps, a aussi été mis en place un compagnonnage obligatoire pour l’installation des étrangers. C’est à dire que tu reprends un cabinet, et pendant 3 ans, vous bossez à deux.
Reprendre un cabinet est une bonne option. L’investissement matériel et financier dans un cabinet neuf est important (beaucoup plus qu’en France où tu peux t’installer avec ta bite et ton couteau). Il faut du matériel, payer des tas de charges, payer des salaires d’assistantes, faut déjà avoir un petit coussin. Reprendre te permet de commencer plus sereinement. Évidemment, après il faut rembourser, mais si tu bosses, l’argent rentre.
Les rapports avec les impôts sont beaucoup plus simples. De toute façon, tu ne fais pas ta compta toi-même, tu prends un fiduciaire, et lui la fait. Il connait les règles, il te conseille. C’est un vrai travail.
Cerise sur le gâteau : il n’y a pas d’urssaf. Il y a d’autres instances mais elles répondent au téléphone quand tu appelles, et tu comprends l’argent qu’elles te demandent.
Il te faudra aussi un permis de séjour. Si tu as un travail, ça s’obtient assez facilement.
2. Personnellement :
Il faut prendre en compte que la vie est plus chère. L’argent rentre, les sommes paraissent mirobolantes, mais tout est plus cher, vraiment plus cher. Ma mère a fait un malaise devant les petits suisses la dernière fois que mes parents sont venus. Et moi quand je vais en France faire des courses, ça m’arrive de laisser échapper « c’est tout ? vous êtes sûr ? ».
Les loyers sont très chers. Et tu t’engages pour une durée, si tu pars avant il faut que tu paies les loyers jusqu’à la date prévue, ça peut donc chiffrer sauf si tu trouves quelqu’un pour te remplacer. Pour acheter il faut un très gros apport, puisqu’il faut 20% du bien, et que les prix sont colossaux.
Si tu envisages d’être salarié, l’assurance maladie n’est pas payée par l’employeur, mais par toi. Tu choisiras ton niveau de franchise, ton niveau de couverture, et si tu veux une complémentaire ou pas (sache qu’en Suisse, les chambres hospitalières à 6 lits existent encore, pouvoir s’offrir des chambres doubles ou simples avec ta complémentaire, c’est bien aussi. Le dentiste et les lunettes ne sont pas prises en charge de toute façon). Ton employeur (donc toi si tu es libéral) devras aussi cotiser pour l’assurance accident, qui te couvriras pour les soins si tu glisses sur du verglas ou te casses une dent.
En tant que patient, il y a beaucoup moins de délais pour consulter. Mais si tu es en maladie, ta prévoyance peut arrêter de te verser des indemnités du jour au lendemain car elle estime que tu vas bien et que tu ne devrais plus être malade. Ce n’est pas la Sécu.
Si tu as des enfants, le système n’est pas prévu pour que les deux parents travaillent. Je dirais même que tout : les systèmes de garde rares et chers, les horaires d’école complètement hallucinants (soit disant faits pour respecter le rythme de l’enfant…), l’absence de garderie ou de cantine, bref tout est fait pour que l’un ne bosse pas. Il y a pas mal de temps partiel, mais je vois beaucoup de femmes en consultation qui ne vont pas très bien car elles se sentent enfermées dans la garde. Pour ceux qui ont de l’argent, tu peux trouver une jeune fille au pair. C’est probablement plus simple en ville.
Il faut penser au travail du conjoint. Simon a beaucoup anticipé, et réussi à être muté ici. Ça n’est pas toujours aussi simple.
3. Réflexion
On voit pas mal de patients français repartir. Il faut dire que beaucoup arrivent en pensant trouver l’Eldorado. Ce n’en est pas un. C’est un pays différent, avec d’autres us et coutumes. Et comme dans tout changement de pays, c’est à toi de t’adapter, et pas au pays de s’adapter à toi, ce que beaucoup de français que je vois ici ne comprennent pas. Ils veulent transposer leur vie en France ici : la sécu, exiger des trucs de leur médecin, le tout pas cher, mais avoir un gros salaire. Ça ne marche pas comme ça. (Les français que l’on voit ici sont en grande majorité pénibles, il y a probablement un biais, mais on s’aperçoit que nombreux sont ceux qui sont habitués à « avoir droit à »)
J’aime beaucoup travailler ici car je travaille enfin comme je l’ai toujours voulu. Mes conditions de travail sont bonnes et j’ai une vie à côté, ce que je n’avais pas en France, même si je travaille encore beaucoup.
L’envers du décor, c’est une forme de solitude. Tu quittes ta famille, tes amis. Il n’est pas très facile de rencontrer des gens. Peut-être que ma vision serait différente si nous avions des enfants et si nous habitions dans un lotissement. Cela me convient, même s’il y a des jours où j’aurais envie d’aller boire des cocktails avec des copines.
Il y aura toujours une angoisse sur l’avenir. Je ne sais pas si on nous mettra un jour à la porte, si on ne renouvellera pas nos permis de séjour, si nous voudrons rentrer. Personnellement j’ai pour le moment trouvé une forme d’équilibre, même si ce n’est pas facile certaines fois de lire que je ne suis qu’un médecin français forcément mauvais. Je me dis que de toute façon en france, je lisais que j’étais responsable de la feignasserie de tous ces médecins qui ne s’installent pas, alors bon.
Je ne sais pas si, contrairement à ce que je pensais au début, je demanderai la nationalité. Je suis française et j’aime la France. J’aime aussi profondément la Suisse, pour ce qu’elle m’offre, pour les gens que j’y rencontre, pour les randonnées du week-end, pour les soirées théâtre, pour cette impression d’avoir une vie de la ville tout en étant au milieu des vaches. J’aime vraiment la Suisse. Mais je ne sais pas s’il faut changer de nationalité pour l’aimer. J’ai encore le temps d’y réfléchir. Je viens de quitter l’Église, je me laisse le temps pour cette nouvelle réflexion.
Je ne crois pas qu’après avoir connu cette vie, j’arriverai un jour à revenir travailler en France, vu les conditions actuelles et ce qu’on nous promet pour la santé pour les prochaines années. Si je rentre un jour, je ne suis pas sure de pouvoir refaire de la médecine.
Je ne pense pas que cela convienne à tous. C’est un choix difficile par les efforts nécessaires et les retentissements qu’il entraine. Mais c’est une possibilité. Une porte ouverte.
NB : je vois déjà arriver les commentaires sur les études des médecins payées par l’Etat. Pendant l’internat, nous donnons déjà bien assez, nous remboursons largement tout ça. D’autres professions passent par l’Université et on leur met pas ça dans les dents à chaque fois. Ce genre de commentaires ne sera pas validé.
La nationalité, ça fait partie de notre identité. Je suis de celles qui ne veulent pas en changer: j’aurais l’impression de trahir ma naissance. C’est à peu près tout ce qu’il me reste de ma vie d’avant.
(Et ouais, t’es loin pour les muffins à la framboise maintenant!)
J’aimeJ’aime
C’est difficile comme questionnement. La France m’a offert une éducation, une culture, une vie. Mais elle ne peut pas aujourd’hui m’apporter ce dont j’ai besoin et envie. Pour autant, je ne me sens pas suisse, peut-être pas encore, on verra.
(et ouais c’est vachement loin)
J’aimeJ’aime
Le N.B m’interpelle … Je n’aurais pas eu l’idée de ce reproche (ni d’un autre d’ailleurs pour qu’il n’y ait pas ambiguïté 🙂 ) . Le fait on plus aux médecins qu’aux autres professions parce que je ne l’ai jamais entendu ?
Et pour finir, je laisse peu de commentaires, mais cela ne m’empêche pas de vous suivre et d’aimer votre style.
J’aimeJ’aime
@ Sabine: oui, ce reproche est très souvent fait aux médecins – j’en suis un -, de plus en plus souvent d’ailleurs. Il n’y a plus un article de journal sur le sujet des déserts médicaux sans que plusieurs commentateurs lancent leurs “yaka les obliger à s’installer dans les campagnes, de toute facon ils sont payés par la sécu (ce qui est faux, les géneralistes sont libéraux, la CPAM rembourse le patient… ce qui le rend plus solvable, c’est vrai), et puis leurs études sont gratuites”. Oui, les études de médecine sont (presque) gratuites… tout comme l’est la fac de maths, de psycho, de droit, STAPS etc. Je ne crois pas avoir jamais entendu qu’un avocat devrait rembourser ses études, ou une psychologue. La France a fait le choix de subventionner les études universitaires pour toutes les filières. Et vu ce que les externes (petites mains qui coûtent bien moins cher qu’une secrétaire) et les internes (petites mains qui remplacent les médecins diplômés) travaillent dans les hôpitaux, je pense pouvoir dire que les médecins sont au contraire les seuls qui remboursent leurs études à l’Etat, par les économies qu’ils lui font faire.Donc je comprends qu’Abigail ait d’emblée coupé court à ce type de commentaire. Désolée d’avoir embrayé là-dessus!
Pour réagir au contenu de cet article: je suis donc médecin, j’ai exercé en Alsace, dans une spécialité très peu représentée, et j’ai sérieusement réfléchi, il y a quelques années, à migrer vers la Suisse avec mari et enfants. Exercer ma spécialité devenait intenable, j’allais me retrouver seule praticien pour un bassin de 700000 habitants. Alors pourquoi pas la Suisse? Après tout, mon arrière-grand-père était suisse, j’étais germanophone, j’avais grandi en Alsace, dont la mentalité des habitants est sensée être proche de celles des Suisses, qui pratiquent un dialecte similaire. Et la Suisse est un pays magnifique. J’ai passé des entretiens d’embauche, me suis enregistrée chez un “chasseur de têtes” spécialisé en médecins (ca existe), et on a commencé à regarder les démarches à suivre dans les différents cantons, à comparer le coût de la vie, des impôts (ca varie du simple au triple!), du périscolaire, des logements. C’est allé loin, ce projet de Suisse.
Et puis… on a renoncé. A cause de l’attitude des Suisses vis-à-vis des enfants, des mères, des familles. Il nous a semblé que ce pays est très paradoxal sur les enfants: il n’y a pas un resto sans l’attirail adapté pour que les enfants soient bien accueillis, pas une aire d’autoroute avec un coin bébé hyper propre et équipé, pas un hameau sans une super aire de jeux. Et pourtant, leur démographie est en baisse, les couples réfléchissent des années avant d’oser faire UN enfant, le discours ambiant est qu’un enfant coûte cher. Réfléchit-on à l’argent et aux voyages qu’on pourra faire/ne pas faire avant de faire un enfant? Pas en France (surtout pas en Normandie, où j’ai vécu aussi: quand tu viens d’accoucher du 3ème, on te demande quand tu lanceras le 4ème!), mais en Suisse, oui, c’est fréquent. Surtout dans la partie germanophone.
Comme le disait justement Abigail, une fois que tu fais un enfant en Suisse, il est presque impératif que l’un des parents arrête de travailler. C’est d’ailleurs le même souci en Allemagne. Et moi, j’aime travailler! J’aime que la médecine/les patients me stimulent. Je ne me vois pas consacrer toute ma vie à mes enfants qui, de toute facon, quitteront le nid un jour, si j’ai bien fait mon boulot de parent. Ca n’a rien à voir avec l’amour que je donne à mes enfants, ou au temps que je leur consacre (je ne suis pas la seule qui peut les faire grandir), mais davantage avec l’estime de soi.
Nous n’avons finalement pas migré… et j’ai complètement changé de métier. A défaut de déménager, j’ai appris à être médecin autrement. Ca ne m’étonne pas qu’Abigail rencontre des Suissesses qui peinent à trouver leur place dans la société, enfermées dans ce carcan de la mère au foyer – très puissant carcan, car pétri de la culpabilité que les parents s’infligent trés bien tous seuls, sans que le regard des autres s’en mêle.
J’aimeJ’aime
En tant que médecin franco-suisse, née en Suisse et y ayant presque toujours vécu (hormis une année erasmus à l étranger pendant mes études et quelques mois en France enfant) je suis surprise de ce message… Autour de moi je vois beaucoup de femmes qui sont mères qui travaillent… Une majorité même, dont je fais partie… Je suis épanouie autant dans ma vie professionnelle que familiale, j ai de la chance d avoir une super crèche dans ma commune + des grands mamans à disposition cette mais je ne me suis jamais posée les questions dont vous parler avant de me lancer sur le chemin de la maternité (et à ce moment là il n y avait pas de crèche à dispo donc je ne savais même pas comment on ferait… On a toujours trouvé des solutions !)
J’aimeJ’aime
Je suis née et j’ai grandit en France. J’ai immigré en Suisse Germanophone quand j’ai rencontré mon mari à 24 ans. Je suis d’accord avec Abigail, que c’est à nous de nous adapter à ce nouveau pays et pas le contraire. Et ce n’est vraiment pas toujours simple…
Mais la Suisse est quand même un pays super pour des enfants! Je trouve effectivement que les places en creches sont rares et très chères. Je suis tout a fait d’accord sur les horaires des écoles qui sont délirants. Mais à côté de ça, je trouve qu’il y a plus de positif. Notamment le travail à temps partiel possible autant pour les femmes que pour les hommes. A notre 1er enfant nous avons tous les 2 avec mon mari diminué nos temps de travail. 60% pour moi et 80% pour lui. Ca lui permettait d’être présent avec le bébé une journée par semaine. Finalement on a eu 3 enfants. Effectivement on m’a beaucoup demandé si j’allais arrêter de travailler après le 3ème. Et non… C’était un choix personnel que tout le monde n’a pas compris mais qui a été accepté.
Je trouve que le côté très positif de l’éducation des enfants en Suisse est la liberté et l’indépendance qu’on leur laisse, tout en leur donnant plus de responsabilités. J’aime aussi beaucoup le côté proche de la nature que l’on enseigne aux enfants dès le plus jeune âge.
Par contre j’ai encore du mal avec le regard des gens sur nos 3 enfants… Quand on va au restaurant on n’a vraiment pas l’impression d’être les bienvenus avec eux.
Mais le côté le plus positif est le fait que les enfants soient bilingues. C’est un avantage pour eux de ne pas avoir à “apprendre” une autre langue plus tard, mais de grandir avec 2 ou 3 langues.
Tout n’est pas parfait, mais ce n’est parfait nulle part !
J’ai demandé la nationalité Suisse pour pouvoir voter… Je suis toujours française, mais avec un petit truc en plus 🙂
J’aimeJ’aime