Etre réveillée trop tôt. Par l’excitation de la journée qui vient, parce que c’est la dernière du périple, parce que ce sera la plus impressionnante ? Regarder l’heure. Deux heures cinquante. Deux lampes qui s’allument sur les lits du haut, le bruit des tissus, des fermetures éclairs, les chuchotements. Les entendre descendre puis sortir. Tendre la main pour attraper mes habits pour me vêtir dans le noir. M’approcher de Simon, le réveiller doucement. Petit à petit, ça bruisse sur toutes les couchettes jusqu’à ce qu’une voix propose d’allumer la lumière.
Pourquoi est-ce qu’on se réveille si tôt ?
Mettre le sac sur le dos. Attraper les bâtons. Quitter la chaleur du dortoir. Être saisie par le froid du dehors, malgré les épaisseurs. Regarder les étoiles, le ciel sans nuage. Quelle chance. Allumer la frontale et marcher.
Pourquoi est-ce qu’on fait ça ?
Marcher. Se mettre en mouvement dans le froid. Sentir quelques douleurs des 1400 mètres de dénivelés de la veille. Se rassurer en se répétant qu’aujourd’hui ce ne sera que 600 à monter, et 2000 à descendre. Un pied devant l’autre. Sur ce terrain difficile, où les rochers sont inégaux. Lever les pieds, parfois haut. Sentir que ça tire.
Pourquoi est-ce qu’on grimpe des montagnes ?
Marcher… Grimper plutôt, dans la nuit, à la simple lueur d’une petite lampe. Contrôler le souffle. Sentir qu’avec l’altitude, le froid, c’est un peu plus difficile. Se faire doubler par des gens dont la respiration saccade. Les dépasser plus loin. Ne pas s’arrêter, marcher, lentement, mais marcher.
Pourquoi s’impose-t-on ce genre de choses ?
Regarder vers le sommet, voir danser les lampes de ceux qui sont déjà presqu’en haut, du moins c’est l’impression qu’on a, mais est-ce vrai. Se concentrer sur soi-même, ce qu’on ressent. La faim tiens. S’arrêter pour grignoter une barre, boire un peu.
Arriver, enfin. Avant le lever du soleil. Faire des photos. Retrouver ceux avec qui on a joué à la belote la veille. Ressortir un pull car le vent est très frais. S’emmitouffler et renfoncer son bonnet sur ses oreilles. Attendre. Se demander à haute voix pourquoi on est monté là.
Emma répond parce qu’elle veut pouvoir dire qu’elle l’a fait. Thomas parce que ça aurait été dommage de ne pas monter. Pourquoi est-ce que moi je suis montée ?
Voir les rayons du soleil éclairer l’île petit à petit. Admirer le Piton de la Fournaise. Penser qu’on était tout en haut une semaine avant. Changement de point de vue. Contempler Cilaos d’en haut, avoir mal aux genoux de se dire que ce soir on y sera. Regarder en souriant le col du Taïbit, si petit d’ici mais abrupt, souvenir de montée. Penser à la journée d’hier, la plus dure. Au rire de Simon quand je lui ai dit laisse moi mourir ici, tu mettras une petite plaque en ma mémoire. A sa réponse : hors de question, après il faudra que je vienne en pèlerinage tous les ans et je ne remonterai pas ça. A la satisfaction intense à l’arrivée au gite.
Pour faire plaisir à Simon ? Parce que ça « faisait partie » d’une visite complète de l’ile ? Pour être fière de moi ? Fière de quoi, d’autres font tellement plus…
Descendre. Pas à pas, marche après marche. Avec la douleur croissante dans le genou droit. Souffrir de la chaleur. Retrouver les autres, faire une pause, partager nos pots de pâtés, nos chips. Arriver finalement en bas. Retrouver la civilisation, l’eau courante, les températures clémentes. Proposer aux autres de boire un coup ensemble. Ceux qu’on a rencontrés le long d’un chemin, autour d’une partie de cartes, en buvant une bière. Savourer ce moment, qui clôture, qui détend. Avec ceux qui ne font que commencer leur tour, et celle qui n’a fait que monter et descendre. Ceux qu’on ne reverra sans doute jamais mais avec qui on a regardé le soleil se lever.
Pour ces moments-là ? Ces rencontres ? Ces échanges ? Ces rires ?
Leur dire au revoir, leur assurer que demain le col vers Mafate sera moins difficile que la montée de la veille, leur souhaiter bonne chance.
Ressentir à la fois soulagement et tristesse. Soulagement d’avoir réussi ces cinq jours. Tristesse d’avoir terminé. Se remémorer les vues depuis les cols, l’immensité de Mafate, l’humidité d’Hell-Bourg, la chaleur des journées, le froid de la nuit. Penser que ça risque de sembler un peu fade maintenant.
Est-ce que c’est pour ça ? Pour ressentir plus fort les choses ? Pour sentir son propre corps autrement ? Pour créer des souvenirs, des accroches de bonheur pour les jours plus difficiles ? Pour tout ça ?
Se glisser dans l’eau chaude du bain. Être bien. Somnoler. Se souvenir.
Oh, vous étiez à la Réunion ? Si j’avais su, je t’aurais proposé de boire un verre… cela fait un moment que je te suis 🙂 J’y travaille depuis un an, dans le même domaine que toi 😉
J’espère que cela vous a plu ! J’aime beaucoup cette rando du piton des Neiges…
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Oui nous y étions. C’était magnifique. Et cette montée est belle et exigeante,finalement plus belle que le lever du soleil.
Ça m’aurait plu de boire un verre 🙂
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ça, je suis bien d’accord avec toi… j’aime beaucoup la redescente aussi, lorsque le soleil s’est levé et permet de voir toute la belle végétation.
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Tu as fait plus durant tes vacances, que mon fils qui y est resté un an 🙂 A te lire cela donnerait presqu’envie de faire cette grimpée. Mais mes genoux ne tiendraient sans doute pas. Je choisis donc le bain final 😀
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Parce que marcher est la métaphore parfaite de la vie.
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