Ils n’avaient jamais vu la neige

Ils viennent d’un pays où il fait très chaud, où la nourriture et l’eau manquent, où les conflits sont fréquents. Ils sont venus car ils pensent que la misère n’est pas moins pénible au soleil, traversant des frontières et des mers, je ne sais pas exactement comment, ils n’en parlent pas.

Ils viennent toujours tous les quatre. C’est lui qui parle. Elle n’ouvre la bouche que lorsque la consultation est pour elle, et dans ces moments-là il traduit. Ils ont déménagé récemment, ils vivent maintenant assez loin du cabinet. J’avais proposé de transférer leur dossier. Il m’a dit qu’ils n’ont pas trouvé de médecin « gentil ». Je ne suis pas particulièrement gentille, je plisse souvent les sourcils quand il parle, essayant de comprendre malgré le fort accent, pensant qu’ils doivent me croire un peu bête de demander si souvent qu’il répète. En fait, je leur parle comme à des humains, quand d’autres leur font ressentir la différence de leur couleur de peau et leur parlent comme à des moins que rien.

Le petit a fait une crise d’asthme, semble-t-il, ils n’ont pas pu venir, lui travaillait, elle ne conduit pas, ils se sont débrouillés avec les médicaments d’un cousin. Ses dents sont très cariées, j’explique que, comme ils l’ont constaté, en effet ça ne part pas au brossage et qu’il faudrait voir un dentiste. Papa n’a pas un bon souvenir de leur dernier contact avec celui-ci, financièrement parlant. Je regarde les dents du grand, il semble n’y avoir pas de séquelle de la chute de la dernière fois. Les peaux sont sèches, on parle hydratation et crèmes. Les deux ont perdu du poids, je dirais à cause du froid mordant de ces dernières semaines, ils ont les mains et les pieds glacés. Je tente d’expliquer que superposer des couches de sweat-shirts n’est peut-être pas le plus efficace par ce froid. Il ne connaît pas le mot laine, ni le mot gants. Le petit baragouine déjà quelques mots en français, je n’ai jamais entendu la voix du grand, il parait qu’il parle à la maison. Je note le Ventolin, la chambre d’inhalation, une crème hydratante sur l’ordonnance. Ils repartent, et me remercient avec de grands sourires.

Même si eux et moi avons quitté notre pays, nos situations sont bien différentes. Je n’ai pas dû tout abandonner, je suis venue chercher de meilleures conditions de travail, je suis bien accueillie, on me demande si je me plais ici, si je me sens bien dans ma nouvelle maison, si je compte rester. On leur parle comme à des indésirables, et on dit qu’ils profitent du système. Ils doivent s’adapter à un climat rude et différent de celui qu’ils connaissent. Ils apprennent une langue difficile, bien éloignée de leur langue maternelle. Ils ne mangent pas à leur faim. Ils ont froid…

Ils restent pour beaucoup des profiteurs qui auraient mieux fait de rester chez eux alors qu’on me donne du « docteur » en me faisant des sourires…

Ils sont des migrants quand je suis une expatriée.

 


6 réflexions sur “Ils n’avaient jamais vu la neige

  1. Non vous n’êtes pas une expatriée dans la mesure où vous n’êtes pas envoyée pour un temps déterminé par une entreprise ou institution dans un pays étranger et n’ont pas vocation à y rester une fois le contrat /mission terminée. Vous êtes une immigrée aussi si vous comptez vous installer dans un nouveau pays, mais pas une migrante économique, pas d’une autre couleur, d’un autre continent et cela fait cette différence dérangeante et insupportable effectivement. L’ Autre fait peur, à moins d’ouvrir son esprit, son cœur, et les politiques de nos jours savent bien jouer de ces peurs malheureusement.
    J’ai beaucoup de plaisir à vous lire
    Bien à vous

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      1. Certes mais dans le langage courant expatriation et immigration ne recouvrent pas la même chose; c’est comme le terme de créole qui désignait initialement les blancs nés aux Antilles (entre autre Joséphine de Beauharnais) et qui aujourd’hui ne désigne plus cette catégorie de personnes . Après je suis tout à fait d’accord avec vous sur le sens final que vous pointez en opposant les deux termes pour clore votre billet. 🤗

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  2. Bonjour,
    Une fois de plus, c’est remarquablement écrit et des images défilent devant nos yeux en lisant votre billet.
    Bien qu’un peu éloignée du sujet, voici une chanson d’un chanteur québecois qui devrait vous plaire :
    « les pauvres » par Plume Latraverse :

    et

    Désolé, impossible de faire un choix entre ces 2 versions.

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