Pas vraiment là

Je n’ai rien à faire au cabinet aujourd’hui. J’ai fait mes visites et je pourrais rentrer. Mais je me suis souvenue ce matin que je devais aller chercher mon Decapeptyl à la pharmacie pour l’injection de la semaine prochaine. Il me faut donc passer au travail pour me faire une ordonnance.

Quand j’arrive, les assistantes prennent le café, je m’arrête pour en boire un. Quelqu’un a apporté des pains au chocolat, je me laisse tenter. Puis je retraverse le couloir pour aller à la pharmacie. Et je croise Mme D. qu’une assistante installe en salle de soins. Mme D. est surprise de me voir, on lui a dit qu’elle verrait Associé ce matin. J’entends qu’on lui explique que je ne suis pas vraiment là. On me voit mais je ne suis pas là, c’est surprenant.

En revenant de la pharmacie, je vais la voir. Elle n’est vraiment pas en forme. Je lui ôte ses lunettes pleines de la buée de ses pleurs, je réinstalle le masque à oxygène. Je lui tiens la main et la distrais pendant que l’infirmière lui prélève du sang et pose une perfusion. Elle s’excuse comme d’habitude de nous déranger. J’essaie de trouver les mots qui rassurent, de lui redire combien ses visites chez nous sont chaque fois justifiées. Je lui demande de poser la tête sur l’oreiller, de respirer tranquillement.

Elle ne veut pas être hospitalisée, comme d’habitude. Je lui réponds qu’aujourd’hui, je n’ai pas mis ma blouse, ce n’est pas avec moi qu’elle va négocier. Elle sourit. Je lui dis que nous allons prendre soin d’elle. Je lui parle doucement. Elle s’apaise. Je lui demande si je peux la laisser, si ça va aller. Oui, ça va aller, je la laisse entre de bonnes mains.

Je suis son médecin, mais ce matin je suis juste passée lui tenir la main. Elle est sur le fil du rasoir, elle le sait comme je le sais. En rentrant, j’ai un peu mal au ventre. Je ne devrais pas m’attacher à mes patients…


3 réflexions sur “Pas vraiment là

  1. Tu dois être une super médecin. J’aime beaucoup ma généraliste, qui est aussi très humaine, mais à te lire, j’aurais aimé être soignée par toi.
    N’oublie pas de prendre soin de toi aussi au milieu de tout ça, surtout à l’approche des piqûres. Courage
    ❤ ❤

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  2. On devrait, on devrait pas, on ne peut pas choisir vers qui notre empathie et notre envie de nous lier nous emmène, nous prend par la main. Et puis alors quoi ? qu’est-ce-que ça peut faire ? on est humai, on crée des liens, parfois malgré nous. Mais c’est ce qui nous rend beau, d’aimer notre prochain sans forcément le choisir et en dépit de tout. Pas toujours facile à porter. Tu as un gros coeur, c’est quand même très beau à regarder d’où je suis.

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