Le temps que le thé refroidisse

La première fois que nous nous sommes vues, elle cherchait un médecin, elle était en souffrance et je l’ai écoutée. Elle avait un parcours un peu comme le mien. Au fil des rendez-vous, j’ai pensé que dans d’autres circonstances, nous aurions pu boire un thé ensemble et passer de bons moments. Mais un patient.e est un patient.e, pas un.e ami.e, et je n’ai jamais franchi cette ligne.

Quand mon pied a explosé, mon monde s’est écroulé. Cette voie que je pensais toute tracée, ce cabinet que je pensais bienveillant, cette course permanente, ce jonglage entre le boulot, le couple et les horaires, tout s’est brisé. Les os comme le reste. Après deux mois de repos forcé, j’ai reposé le pied par terre. Malgré la peur de croiser des patients et leur reproches de n’être plus là, j’ai de nouveau accompagné Boubou à la piscine. C’est là-bas qu’un jour, alors que j’étais en train de me battre avec lui pour qu’il s’habille, elle est apparue. Elle souriait. Elle m’a demandé comment j’allais. J’ai bredouillé. Elle voulait me poser une question, je croyais que ce serait médical, en fait elle voulait juste qu’on boive un verre. Dans ma tête, un fusible a sauté. Ça ne rentrait dans aucun de mes algorithmes sociaux. Elle l’a compris. Elle m’a laissé le temps.

Depuis, elle est entrée dans ma vie. Nous nous voyons autour d’un thé et le temps qu’il refroidisse, elle y instille son sourire, son écoute, ses histoires. Et puis, bien souvent, nous refaisons du thé parce que nous avons fini la théière et que nous n’avons pas envie que ça s’arrête. Elle me regarde en riant quand je dis que je n’ai pas encore la force de faire des projets, elle me rappelle ce que je lui disais en consultation, que ce serait très long. Je l’écoute raconter ses projets professionnels et ses espoirs. Nous parlons de nos maris qui sont bien différents et de nos enfants qui sont tous deux dans une phase d’opposition et d’affirmation de soi. Nous parlons féminisme et droit des femmes. Nous parlons réchauffement, racisme, fascisme et peur de l’avenir. Nous caressons nos tasses et c’est un peu comme si le temps s’arrêtait.

A un moment, il faut bien reprendre le cours des choses, aller chercher les enfants, faire les courses, préparer le repas, vivre le quotidien. Mais le temps que le thé refroidisse, c’est une parenthèse de douceur qui m’aide à cicatriser.

Il y a du bon dans tout, même dans les effondrements les plus violents. Il y a du bon même dans les histoires les plus ridicules de quintuple fracture suite à une culotte sale ramassée par un inconnu.


4 réflexions sur “Le temps que le thé refroidisse

  1. J’adore te lire mais en plus lire cette histoire me fait du bien, j’ai connu la véritable amitié avec une ancienne collègue infirmière. Elle dure toujours même si les rencontres se sont espacées, nous pensons toujours l’une à l’autre même sans se le dire. Elle était aussi amie de notre couple quand mon mari vivait, cela n’empêchait pas de nous retrouver seules toutes les deux. pendant mes années noires elle a été d’un soutien indéfectible et depuis maintenant pas mal de temps nous partageons nos vies, l’avenir de nos enfants et petits enfants, nos inquiétudes, nos peines mais surtout beaucoup de rires. La véritable amitié quoi!
    Je te souhaite tout plein de bons moments avec ton amie.
    Martine M.

    J’aime

Laisser un commentaire