Wokisme

Je ne sais même pas pourquoi on a parlé de ça. Mais il a fini par dire qu’il avait voté Zemmour. Presque comme une fierté. Et j’ai répondu que je savais qu’il était réac mais que je ne pensais pas à ce point. Alors probablement parce que j’aime me pourrir mes soirées, j’ai dit que je vote à gauche. Ils ont demandé mais quand même pas extrême ? Et si, parfois, parce que la gauche aujourd’hui, avec un décalage de notre société de plus en plus vers la droite, ça n’est plus vraiment la gauche, plus assez à gauche. L’un d’eux a dit que j’avais une tête à voter à droite. Dans mon baggy et mon t-shirt, les cheveux encore collés par mon casque de vélo, je me suis demandée ce que c’était une tête à voter à droite. Probablement plutôt cette histoire d’être médecin. Un médecin c’est de droite, c’est connu. Ils ont dit qu’on ne peut plus rien dire, on ne peut même plus dire aveugle ou sourd, on doit mettre des noirs et des gays dans toutes les séries et pire que le reste : le wokisme. Donc j’ai demandé ce qu’est le wokisme et aucun d’eux n’en a la même définition parce qu’en fait ils le manient à toutes les sauces mais ils ne savent même pas ce que c’est. En gros c’est quand même tout ce qui va remettre en cause leur suprématie de mâles blancs hétéros.

J’ai rappelé qu’il a une fille, et comment il réagira si un jour il lui arrive quelque chose, qu’il a déjà soutenu Depardieu et que pour moi, c’était un redflag. Il avait déjà dit que s’il n’y a qu’une femme qui accuse, comment la croire. Mais à partir de combien de femmes, bordel, tu vas enfin entendre, tu vas enfin croire ? Alors il a dit oui mais y a des femmes qui accusent et c’est pour la gloire et après on constate que c’est faux. J’ai répondu que j’aimerais bien savoir lesquelles et de quelle gloire on parle. Parce que des femmes qui accusent, il n’y en a pas beaucoup parce que la justice aujourd’hui met justement leur parole en doute comme ils le font là et que leurs carrières, leurs vies après sont brisées. Alors que les mecs, même condamnés, peuvent poursuivre leurs activités, il n’y a qu’à voir Cantat. J’ai parlé de ce policier qui vient d’être relaxé alors qu’il cognait sa femme et ses mômes, alors ils ont répondu, mais c’est qu’une fois, alors laissons la justice faire son travail. Une justice favorable aux mecs blancs qui vivent dans un monde de patriarcat en fait. Et combien de femmes n’ont pas été sexuellement agressées, j’en ai entendu tellement, moralement elles sont abimées, personne ne les croit, moi aussi je l’ai été, rien ne nous en protège. Ils ont dit que voilà, je réponds émotionnellement. Alors je suis partie. Parce que de toute façon, j’avais toujours tort, puisque si je donne un exemple, ça n’est qu’un exemple, alors que les leurs sont plus que des exemples, et que je suis émotionnelle parce que je suis une femme, et que je suis une femme, tout court, donc j’ai tort.

Ça faisait longtemps que ça ne m’était pas arrivé d’être confrontée comme ça. Oui je sais qu’ils existent, et qu’ils sont nombreux. Mais je côtoie peu de gens et j’évite ces sujets. D’habitude. J’aurais dû fuir avant que ça ne dégénère.

Finalement j’étais mieux sur un fauteuil à l’intérieur avec le fond de mon verre de rouge et Simon qui m’apportait des chocolats de temps en temps, alors que j’entendais qu’au loin, lui-même a tenté de donner quelques arguments à des mecs qui ne changeront jamais de position. Sa femme m’a rejointe et je lui ai dit que je ne savais pas comment elle supportait ça. Alors les yeux dans le vague, elle a fait un petit signe de la main. J’ai parlé de mon idée de maisons de femmes où on pourrait vivre en élevant nos mômes dans un soutien mutuel. Elle a raconté combien quand ils avaient leur jeune fille au pair ça lui avait fait du bien justement. Et pis on a remangé des chocolats.

Mon problème c’est que j’ai beaucoup lu sur ces sujets. A la fac, ce n’est pas ce dont on nous a parlé et pourtant c’est ce qui a fini par remplir mon cabinet, devenu un lieu d’écoute et d’accueil pour celleux qui étaient jugés, incompris ou pas écoutés ailleurs. Parce que comme me l’a dit un confrère « toi tu fais très bien et moi je ne sais pas faire ça ». C’est pas que tu sais pas faire mec, c’est que tu n’as pas envie. Parce que c’est difficile. Déjà écouter ça prend du temps et c’est pas très « rentable ». Et pis ça oblige à encaisser. Encaisser car écouter raconter des violences, des viols, des parcours cahotiques, les remarques crétines de mes confrères, la violence de notre société envers ceux qui ne rentrent pas dans le moule, que ce soit des histoires de genre ou de sexualité, on n’a pas appris. Ça demande un sacré boulot sur soi pour réussir à rentrer chez soi et trouver l’énergie de rester zen et disponible face à sa propre famille. Ça épuise, ça abime.

Plus on travaille sur ces sujets, plus on se rend compte que notre société est une catastrophe patriarcale, cette inégalité de départ qui crée toutes les violences qui suivent. Le mec comme patriarche qui fixe les règles et tape. La femme comme souffre-douleur et esclave, au service de l’homme, de ses enfants, de la société, effectuant quotidiennement un travail gratuit et non valorisé. Après s’ajoute le capitalisme comme cerise sur le gâteau pour bien creuser les choses.

Bref, plus on lit sur les violences et les inégalités de manière générale, plus on a la rage qui monte. Plus on aimerait ne pas avoir ouvert cette porte. Plus on aimerait ne jamais s’être « éveillée » (c’est ça le wokisme, c’est l’éveil, un éveil qui forcément devient extrêmisme). Parce que la rage au ventre est immense.

Et c’est pas parce que t’es un mec, que tu fais le pain de la maison, et qu’un soir, quand t’as des potes à la maison, tu mets quelques pizzas au four, que t’as réduit les inégalités quotidiennes et sociétales. Même si ça te donne bonne conscience.


6 réflexions sur “Wokisme

  1. Samedi soir, j’ai eu droit à la « catastrophe » de la féminisation de la profession, avec ces feignasses qui veulent pas travailler le soir et le mercredi. Et pourtant ils ont eux-mêmes des filles médecins. Fatiguée, j’ai laissé couler.

    Le lendemain mon mari, en toute bonne foi, ne comprenait pas que le problème n’est pas la féminisation de la profession mais le fait que les hommes ne prennent pas leur part de la gestion des enfants.

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    1. 🙄
      Un jour mon mari a fait un tableau Excel pour qu’on répartisse autrement les tâches. Je ne voulais pas qu’il le fasse, je trouvais ça débile. Finalement ça a permis qu’il se rende compte de tout ce que je faisais, et surtout de tout ce que je faisais et qu’il n’avait pas mis dans le tableau. Ça nous a finalement permis d’avancer mais c’est fou d’avoir besoin de ça.

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  2. « voilà je répond émotionnellement ». Les hommes qui montent sur leurs grands chevaux dès qu’on aborde ces sujets, ils répondent comment? Testosteronement? Alors ça passe?

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  3. Mon chef de département ( > 60 ans), à propos de l’augmentation du nombre de femmes médecins: « un métier qui se féminise est un métier qui se dévalorise ». Je peux en citer des dizaines, de sources diverses, dont le grand classique: si on ne peut même plus plaisanter. Ou faire un compliment… c’est au mieux fatiguant. Mais je constate une nette amélioration chez les moins de 35 ans heureusement. Mes fils sont des féministes de combat :-), il ont contribué à rééduquer mon mari

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  4. Un collège qui n’arrête pas de faire des compliments à un collègue plus jeune. Elle lui dit stop plusieurs fois gentillement en expliquant que ça la gêne et qu’elle ne souhaite pas qu’on juge sur le physique ou la manière de s’habiller. Réponse « oh vous les femmes vous n’êtes jamais contente, on fait pas de compliments ça va pas , on en fait ca va pas » ….Bref en plus on est caracterielles. Ma pauvre il devrait te tarder de fuir. Plein de lumière pour éclairer ce monde tout gris.

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