Qu’est ce qui a changé…
Si peu, et tellement à la fois.
Deux cent cinquante kilomètres à vol d’oiseau plus loin.
Je parle la même langue qu’avant, à quelques expressions près, et finalement c’est plutôt agréable. Certains projets que j’avais en tête auraient demandé beaucoup d’efforts de ce côté.
Créer une patientèle est bien plus agréable qu’en reprendre une. Je crée des bases plus saines pour la suite.
Je ne ressens plus le besoin d’arriver trente minutes avant l’heure au cabinet pour profiter d’une période de calme avant de plonger pour la journée. J’arrive à l’heure, tout est déjà prêt, je dis bonjour, on me répond avec le sourire, et je me sens déjà bien. J’enfile ma blouse, je ferme la fenêtre, je secoue la souris. Et ça suffit.
Je peux parler à mes associés et ils me répondent, c’est fou. J’ai l’impression de les embêter beaucoup et souvent, tout n’est pas pareil ici et j’apprécie de leur demander comment ils géreraient pour adapter ma pratique à ce qui se fait. Quand je quitte le cabinet, je n’ai pas peur qu’ils disent du mal de moi ou raccrochent au nez des patients, les laissant démunis pour les punir de m’avoir choisie.
Je rentre sereine le soir, parfois avec des questions médicales en suspens. J’ai le temps de chercher des réponses, que je ne trouve pas toujours.
J’ai le temps d’aller marcher, de lire, d’écrire, de coudre, de regarder le ciel et de courir après les Pokemon.
Je sais que c’est l’été et que ce ne sera pas aussi calme en hiver. Je profite, ce rythme me fait du bien, j’avais besoin de cette période de transition. Ces cinq dernières années m’ont abimée bien plus que ce que je croyais.
Mon bien-être retentit sur la qualité de mes consultations. Je suis plus à l’écoute de ce qu’on me raconte. Je réfléchis mieux, mon esprit n’est pas parasité.
Je suis toujours médecin. Je gère à la fois moins et plus de problèmes. Je ne fais pas de paperasses. Je ne dois pas justifier que non ce n’est pas moi qui dois trouver pourquoi la carte vitale ne fonctionne pas. Je m’occupe de médecine et uniquement de ça, plus largement, plus lentement, de façon plus satisfaisante. Je fais de la médecine générale et aussi des urgences. J’ai les moyens de travailler comme je l’ai toujours rêvé. Je retrouve ce qui me plaisait aux urgences et en hospitalier.
Je ne touche pas l’argent directement, je ne rends pas la monnaie. Je côte juste et j’envoie. Je trouve que ça me fait perdre moins de temps. Je facture au temps passé, au matériel utilisé et aux moyens mis en oeuvre. J’apprends que mon travail a une valeur. C’est aux antipodes de ma vie d’avant. C’est extrêmement confortable de travailler dans ces conditions.
Certains jours, je pense à certains que j’ai laissés derrière moi. J’ai reçu des mots qui m’ont serré la gorge et je n’oublierai pas. Il y avait du bon aussi dans tout ça. Ils sont mon gros regret.
Je me suis éloignée de ma famille. Je prendrai le temps pour eux. C’était un choix à faire. Un choix pour survivre. Un choix pour vivre.
La pieuvre dans ma poitrine a changé, elle s’est déplacée un peu plus à gauche, elle ne m’étouffe plus. Je crois qu’elle essaie de me dire que Simon et les boules de poils lui manquent et que ça lui ferait du bien de trouver une tanière ou se poser. Elle accepte de relâcher la pression très souvent et elle me laisse dormir. Elle et moi nous sommes apprivoisées.
Je vis à temps très partiel avec Simon, ce n’est pas simple. Mais nous profitons de nos week-ends comme nous ne l’avions pas fait depuis longtemps pour cause d’épuisement. Nous avons repris confiance, digéré certaines souffrances, retrouvé l’espoir.
Peu de choses ont changé. Tout a changé.
Tu écris ce que j’ai, ce que tous les expatriés arrivés dans ce pays ont ressenti. Merci de l’écrire si bien…
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