Au Pays Des Vaches Mauves

Dès que j’enlève mon casque de protection, j’entends miauler. C’est comme ça depuis ce matin, depuis que j’ai commencé de bricoler dans l’étable, à chaque fois que j’arrête de scier et que j’enlève mon casque. Et depuis ce matin, j’ai bien envie d’aller voir, mais je sais que je vais trouver un chaton, et qu’est-ce que je ferais d’un troisième chat, deux c’est bien assez comme ça.

Il miaule encore. Bon. Mon étagère peut bien attendre.

Je sors. Les miaulements viennent du tas de bois qui sèche depuis l’automne dernier. Si je m’approche, ça s’arrête, et dès que je m’éloigne, ça repart. Alors je ruse, je m’approche discrètement. J’échoue à plusieurs reprises, marchant sur une feuille sèche ou faisant bouger une dalle mal équilibrée. Et puis à un moment, j’entends où il est, et finalement je le vois. Un chaton roux, avec des pattes blanches. Alors je parle doucement, en glissant ma main entre les branches. Et cette petite saloperie m’attaque, plante ses griffes et ses dents. Je retire ma main, heureusement protégée par mes gants de travail du bois, intacts.

Je le regarde. Il crache.

Bon.

Je retourne finir mes étagères. Je remets mon casque.

En sciant, je pense à ce chaton qui, il y a huit ans, miaulait près de la maison, tout moche et maigrichon, qui s’est laissé approcher, nourrir et attraper, sans aucune agressivité. Ce chaton qui pèse maintenant plus de cinq kilos, qui miaule comme grince une porte rouillée, vomit des saucisses de poils si on oublie de le brosser mais qui ronronne à la moindre occasion, et qui jamais ne m’a mordue ou griffée, pas même après le déménagement, ni pendant ce mois de convalescence, enfermé après la chirurgie, à subir les gouttes dans l’œil cinq fois par jour, les comprimés, le sirop. Ce chaton qui nous a choisis.

Bon. Tant pis pour le rouquin. Ce n’était pas notre journée.